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Un livre à découvrir

31 décembre 2017

Que puis-je? Plus tard, si jamais...

Que puis-je? Plus tard, si jamais je sors d'ici, j'aurai peut-être à commander quelques-uns de ces hommes. On leur aura prêché la destruction de ce qui les nourrit, de ce qui fait leur joie de vivre. On leur aura proposé le bonheur factice d'un pays qui n'est pas le leur et où ils ne demeureront jamais. Ils n'en connaissent pas la misère. Impuissant, j'écoute. Si j'essayais de parler, d'expliquer, cette Tchouta m'aurait vite traîné devent le Komissar de son Soviet. L'on m'empoignerait. L'on m'enfermerait je ne sais où. J'y crèverais de faim ou de tristesse.

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14 juillet 2017

Je connais bien ces masques de matelots.

Je connais bien ces masques de matelots. Ils ont roulé dans tous les dangers de la mer et des ports. Ils ne sont pas plus faciles à persuader que je ne le suis à prendre des vessies pour des lanternes. Cependant, cette Tchouta les magnétise. Elle fait passer dans leurs prunelles embuées d'alcool la flamme dont elle est chargée. Leurs poings se serrent sur les tables. Leurs bouches se contractent. Leurs fronts se rident. Tchouta continue. Elle devient la virago inspirée et destructrice. Dans la journée, elle ressemblait à une communiante à qui les idiots de outirstes auraient donné le bon Dieu sans confession.

Au moment réglé de la même façon tous les jours, circulent dans le Club les formules d'adhésion à la III° Internationale. Il suffit d'y apposer une signature, même tremblante, même illisible par l'ivresse. Celui qui se laisse prendre ainsi est saisi par l'engrenage d'où il ne sortira plus. Il échange sa liberté contre une minute d'enthousiasme. L'éloquence de ces Slaves et de cette Tchouta est errible. Ils savent trouver, en des profondeurs inconnues, ce que les primaires ignorent. 

30 mars 2017

Tu vois, mon cher Georges...

Tu vois, mon cher Georges, que l'on déménagé de Leningrad. Je loge maintenant soit dans la citadelle-prison qui commande le port, soit à bord du cuirassé Robespierre. Je suis sous l'oeil du Komissar qui dirige toutes les forces navales. Je ne sais pas si cette mutation représente une faveur ou une disgrâce. On ne m'a pas demandé mon avis. J'ai peur que ce ne soit une punition. Il y a peu de différence, à Kronstadt, entre un prisonnier et un invité. Voici comment cela m'est arrivé.

Après deux ou trois semaines de ce régime de Leningrad, où je travaillais le jour comme un portefaix et où je passais le plus clair de mes nuits à m'abrutir aux bobards du Club, j'ai commencé à en avoir assez. Tu ne peux te figurer l'état de marasme où l'on parvient quand le moindre des propos et des gestes est épié. Cette inquisition est naturelle aux Russes. Il faut bien qu'ils s'y plaisent, puisqu'ils la donnent comme exemple. Mais moi, je suis à la bonne franquette. Je ne demande qu'à vivre et à laisser vivre. J'avais donc des papillons noirs. 

14 décembre 2016

Mais ce serait du propre...

Mais ce serait du propre si le prolétaire que je suis devenu, mordait à ces festins maudits. Ce serait pire encore si je m'avisais d'échanger un seul mot avec ces Yankees ou Allemands, Anglais ou Français, qui se gavent et s'extasient. Du coup, l'on m'enverrait voir, du côté des mines de Sibérie ou des pêcheries de la Mer Blanche le genre de besogne et de friandises dispensées aux indiscrets.

La kamarade Tchouta est tous sourires pour ces voyageurs éberlués. Ils avalent tout ce qu'elle leur raconte. Rentrés chez eux, ils répéteront que l'abondance règne en Russie, qu'on y gaspille les victuailles et que l'on s'y installe dans des voitures aussi luxueuses et des caravansérails aussi confortables que ceux de l'univers bourgeois. Je voudrais que ces ingénus viennent goûter la pitance des Bolcheviks dans leurs maisons ouvrières ou leurs clubs. Il serait bon,  aussi, qu'ils vinssent le soir au Club des Marins, pour entendre Tchouta et ses semblables évangéliser les équipages des cargos ou ceux des paquebots. 

28 novembre 2016

Ces équipages ne sont point invités...

Ces équipages ne sont point invités au caviar et au foie gras des palaces. Mais le Club les reçoit à bras ouverts. Les salles sont enfumées, tapissées d'affiches incendiaires et insultantes pour toute nation qui n'est pas solvétisée. J'y retrouve régulièrement les matelots. C'est mon réfectoirte quotidien. La bière fade, le brouet de céréales, des lambeaux de poisson, constituent ma ration insuffisante. Il faut bien s'en contenter. Ce que mon stomac ne reçoit pas en auqntité, mes oreilles et mon cerveau sont obligés de l'encaisser, en qualité de haine et de révolte.

L'entrée de ce Club est interdite, cela va sans dire, à tous les passager privilégiés que l'on prmonèe pendant le jour au milieu de fraudes. Pour y pénétrer, il faut montrer patte blanche, être pourvu de ce carton dont je suis détenteur. Il est délivré aux matelots de tous pays: Indiens ou Malais, Américains ou Argentins, Français ou Espagnols. On les abreuve de toutes façons, dans cette atmosphère écoeurante, dans l'odeur insoutenable de kamarades mal lavés. 

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27 septembre 2016

Bref, j'ai eu la jambe cassée...

Bref, j'ai eu la jambe cassée par deux ou trois balles bien logées. Je me suis évanoui. Je me suis réveillé dans un hôpital, la cuisse entourée de plâtre. J'étais au milieu d'une rangée de cinquante lits. Chacun contenant, sans doute, une victime de cette rixe.

Je ne peux dire que j'ai été mal soigné. Les Soviets se targuent d'apporter à leurs oeuvres sociales ou humanitaires les derniers perfectionnements de la science. J'ai pu me relever et criculer au bout de deux mois. En France ou ailleurs, cela n'en aurait peut-être pas duré qu'un. On ne peut point en vouloir aux Russes s'ils ne sont jamais pressés. Ils sont trop Asiatiques. Le temps ne compte pas pour eux. Et puis la vie humaine, surtout celle d'un étranger, ne pèse pas lourd ici. Tout aurait été au mieux si mon cargo n'avait pas décampé, si je ne m'étais trouvé au sex et à la merci de ces excellents camarades du Soviet des Marins. 

25 septembre 2016

En deux mots, je suis bloqué à Léningrad...

En deux mots, je suis bloqué à Léningrad depuis une douzaine de semaines, dont huit passées à l'hôpital et quatre comme pensionnaire du Soviet des Marins.

A mes dernières nouvelles, je commandais ce cargo qui, pour le compte de ma compagnie, transportait en Russi des camelotes manufacturées ou autres. J'avais passé huit jours à Léningra. J'avais fini d'embarquer ce que l'on offre ici: du bois, du blé et des vuirs. Je devais partir le lendemain matin.

Je n'avais pas mis pied à terre pendant mon séjour. Ce n'est pas commode, dans cette Russie où les formalités administratives sont mille fois plus compliquées qu'en France. Pendant la nuit, j'ai voulu me dégourdir sur le plancher des vaches. Dans le faubourg des matelots, je suis tombé en pleine rixe. Le revolver, les grenades, les parabellums fonctionnaient comme un de nos feux d'artifices du 14 juillet. Nee me demande pas d'où cela venait, ni à qui la faute: questions que, de ce côté-ci, l'on ne pose point. 

3 août 2016

Cette mégère sait rudement bien le français....

Cette mégère sait rudement bien le français et quelques autres idiomes. Elle est doctoresse ou agrégée d'un de leurs innombrables institus aux parrains anarchiques: Karl Marx, ou Marat, ou Bakhounine.

Ces écoles ne manquent pas en Russie pour former la jeunesse dans la haine farouche de ce qui est étranger. La kamarade Tchouta est un des fruits les plus purs de cette éducation fielleuse. Je n'en suis pas le seul bénéficiaire. Toutes les nuits, elle prend la parole dans le Club des Marins. 

C'est l'été. De nombreux bateaux viennent à Leningrad. Ceux du commerce d'abord, comme dans mon cargo; ils importent de tous pays des produits manufacturés, et remportent du bois. Il y a, en outre, un tas de beaux paquebots qui séjournent au cours de leurs nimbreuses croisières. Ils déversent des hordes de passagers de luxe. Le Komintern fait à ceux-ci les honneurs de ce que l'on doit montrer aux riches abominables et aux paresseux méprisables. 

3 juillet 2016

Dans la journée, la Kamarade Tchouta...

Dans la journée, la kamarade Tchouta sert de fuide à tous ces innocents ébaubis. Elle les trimbale de la cathédrale Saint-Isaac aux bords de la Néva, de l'Amirauté au Palais d'Hiver. Elle assiste aux agapes énormes que le Komintern offre dans deux ou trois hôtels, conservés pour la façade. Elle sert d'intermédiaire aux achats de quelques bricoles et souvenirs qui sont accumulés dans les atriums de ces palaces décatis.

Je l'ai souvent vue à l'oeuvre dans ce rôle, car je suis devenu bon à tout faire. Quand il n'y a plus de place pour moi dans une équipe de soutiers ou de manoeuvres, on me harnarche d'un frac de soirée, fort taché, et tombant de guingois. Je m'en vais dans les palaces passer des plats, saumon et caviar, dindes et entrecôtes, foie gras et sucreries, qui sont absolument inconnus, je te le jure, des cent-cinquante millions de Russes. Quand je présente, sur mes gants de filoselle douteuse, ces nourritures oubliées depuis longtemps, l'eau m'en vient à la bouche. Je me tiens à quatre pour ne pas les saisir à belles mains et les déchirer à belles dents. 

30 juin 2016

Tu sais si, dans ma carrière...

Tu sais si, dans ma carrière, depuis que j'étais mousse, j'ai connu d'abominables postes d'équipage, des soutes et des cales irrespirables. Jamais je n'ai éprouvé cette révulsion physique, cette envie de m'enfuir. Jamais surtout je ne me suis rendu compte du double visage de gens semblables à Tchouta et à ses pareils. Sincères et convaincus, je veux le croire, ils trompent aussi bien ceux qui ont des yeux pour ne rien voir et ceux qui ont des oreilles pour tout entendre.

Il n'y a pas à dire. Quand Tchouta se lève dans le Club pour verser à pleins bords le venin du jour à l'équipage de rencontre, quelque chose d'extraordinaire se passe. Je n'y comprends rien, naturellement. Elle parle polonais ou javanais, maltais ou autre. Elle change de langage à volonté. Mais elle se fait entendre de chacun. Il suffit de regarder les maximes écrites sur les murs, et les images grossières qui les illustrent. Tchouta les indique, les développe. Elle trouvele chemin de ces âmes frustes et fortes, issues de l'univers. 

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