Dans les débuts, je me fiais à cette bonhomie...

Dans les débuts, je me fiais à cette bonhomie prolétarienne. Les kamarades multipliaient leurs gentillesses à l'exilé français. Ils essayaient de me faire signer le serment par lequel je m'engageais à appartenir ç la Troisième internationale, à en propager partout les préceptes. Tu me connais. Tu connais aussi la gent maritime. Nous n'aimons pas qu'on nous impose des manières de voir ni de penser. En dehors du service, le martin veut être libre de ses opinions, du moment qu'il gagne sa vie, souvent de façon pénible, et qu'il se soumet aux règles de la mer.

J'ai répondu que j'avais le temps de regarder venir. Plus tard, une fois converti, je verrais à prêter ce serment. Avec ma sincérité brutale, j'ajoutai que je n'appartenais en France à aucun groupe politique ou religieux, franc-maçon ou catholique, C.G.T ou Croix de feu. Il me fallait beaucoup de persuasion pour aliéner, en Russie, mon indépendance, même pour une cause sublime. Mes réticences n'ont pas eu le don de plaire aux dirigeants de ce Soviet. Voyant que j'étais rebelle à une conversion immédiate, ils ont serré la vis de ma liberté et de ma nourriture. Ils m'ont, en outre confié aux soins d'une de leurs plus éloquentes prosélytes: Mlle Tchouta.